CGT LE PREMIER SIECLE VO édition, Préfacé par Georges SEGUY, Henri
KRASUCKI, Louis VIANNET
Qu’est ce que le syndicalisme CGT ?
—
D’abord, le syndicalisme CGT, c’est une irremplaçable école de fraternité, de
chaleur humaine et de courage.
Il nous apprend qu’il ne
faut jamais accepter de subir, de se faire humilier, de renoncer.
Sa finalité c’est la
dignité humaine, le bonheur de l’homme solidaire des
Le syndicalisme CGT est
inséparable de ce combat pour la dignité humaine et la vision de sa propre dignité
et utilité sociales.
Rien n’est jamais
définitivement joué d’avance rien qui ne puisse être à son tour inversé. Il ne
faut jamais se décourager, s’isoler, renoncer à l’action collective, l’action
unie, l’action déterminée lorsqu’elle se propulse à partir d’idées-forces
autour desquelles font masse les intéressés et peut changer à nouveau le cours
des choses.
Rien n’est mécanique, ni
spontané. Il faut l’activité syndicale, la démocratie, la persévérance pour y
parvenir, le dévouement au quotidien pour gagner la confiance.
Ce premier Centenaire de la
CGT abonde d’exemples permettant de se dire aujourd’hui que la division n’est
pas définitive, que les prétentions patronales et gouvernementales peuvent être
stoppées, que la solidarité avec les chômeurs et les précaires doit être plus
développée encore.
Ainsi, les événements et
les acquis de 1968 n’étaient pas à l’ordre du jour lors de l’avènement du
pouvoir gaulliste en 1958 pas plus que les émeutes fascistes de février 1934 ne
portaient mécaniquement en elles le Front Populaire, la réunification
syndicale, les grèves et les accords Matignon de même la reconnaissance du
droit syndical en 1884 n’était pas la clé assurée pour arriver, dans un délai
rapide, à surmonter les obstacles subsistant pour créer la CGT en 1895, etc.
Dans notre fin de siècle où
tant de voix s’allient pour chanter l’air du consensus, de l’association
capital-travail sous différentes variantes, de la fin de la lutte de classe,
comme si l’effondrement des “pays socialistes” abolissait ipso facto
l’exploitation capitaliste..., la raison d’être première du syndicalisme,
résister et lutter collectivement, raisonne d’une modernité renouvelée.
— Le
syndicalisme CGT, c’est un apport décisif à notre patrimoine national d’acquis
sociaux.
J’imagine que pour les
générations de l’après 68, ces acquis font partie des “meubles”. Devenus
naturels, en quelque sorte. On s’y est tellement habitué qu’on a du mal à
penser qu’ils n’ont pas toujours existés et que demain ils pourraient ne plus
exister ou être très largement rognés.
Et pourtant !
Rien ne nous fut octroyé.
Le capital et les pouvoirs publics n’ont jamais été touchés par la grâce
Même lorsque des avancées
de la démocratie portèrent au pouvoir des gouvernements plus acquis aux idées
de progrès et de justice sociale (comme en 1936, en 1945 et quelques mois de
1981), les avancées revendicatives furent toujours le résultat des rapports de
force, des luttes et du mouvement social globalement. Bien du monde disserte
aujourd’hui sur l’Etat - Providence, sur la protection sociale, sur notre
modèle de droits sociaux, comme si la plupart des forces et mouvements dont
sont issus ces docteurs Diafoirus étalent pour
quelque chose dans ces acquis-là.
Ce sont les nôtres, ceux
des travailleurs.
Sans le syndicalisme, et
donc sans la CGT tout au long de ce siècle, sans tant de luttes des
entreprises, au niveau national, de chaque profession à l’interprofessionnel,
sans tant de larmes et de sang, nous n’aurions pas conquis ces droits et ces
acquis. Ces droits ont constitué un ciment de la cohésion sociale entre les
secteurs, les catégories et les générations de salariés. Ainsi, ils ont
puissamment contribué à forger l’identité démocratique, les valeurs sociales et
la qualité de vie.
Qu’il faille aujourd’hui
que le syndicalisme lutte contre l’exclusion de ces acquis d’une partie
grandissante de la population et des jeunes générations, et que là réside la
dimension supplémentaire de son deuxième siècle débutant, devrait bientôt
relever de l’évidence.
Mais théoriser sur le rôle
d’un syndicalisme cantonné dans la simple redistribution des miettes que
patronat et gouvernements condescendraient à dégager, l’accuser de passéisme et
d’égoïsme parce qu’il défendrait “des avantages acquis” et, comble de tout,
oserait revendiquer “toujours plus”, relève de l’imposture et de l’imposture
historique.
On n’explicitera et
n’illustrera jamais assez pour les jeunes générations cet apport du
syndicalisme, de l’action collective, de la lutte sous toutes ses formes dans
les avancées des sociétés humaines.
— Le
syndicalisme CGT, et c’est une de ses caractéristiques majeures, n’a jamais
limité sa vocation, pour aussi vital que ce fut, à la défense quotidienne du
salariat.
Dans sa corbeille de
naissance, il y a la conviction et la volonté d’une transformation radicale de
la société, de l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme.
C’est en ce sens que la CGT
est née “de classe” et se réclame de la lutte de classe.
Elle sera viscéralement
anticapitaliste. Là est la raison qui explique son histoire si mouvementée,
avec son cortège de scissions, d’exclusions, de luttes internes et de pratiques
fratricides, dont on a parfois du mal à imaginer qu’elles aient pu exister dans
le syndicalisme.
Le meilleur et le pire y
sont enchevêtrés.
En cela aussi, le
syndicalisme n’est pas une contre-société à part. Il est parcouru, travaillé,
par toutes les idées, les moeurs, les pratiques d’une société française où la
lutte de classe est vive, passionnée, où patronat et bourgeoisie sont
grandement d’inspiration “versaillaise”, tant ce peuple et ces salariés leur
ont fait “froid au dos” pour leurs privilèges depuis la Révolution française.
Et la Révolution de 1917,
avec la constitution de l’URSS, leur donne alors des cauchemars.
Une partie du syndicalisme
véhiculera les idées de collaboration de classe, le refus de la lutte résolue
contre le capital, au sein de la CGT. Pour une infime minorité, cette haine ira
jusqu’à les faire devenir des supplétifs du gouvernement de Vichy.
Mon propos n’est pas de
juger. Mon propos est d’affirmer notre filiation contemporaine avec tous ces
militants qui rêvaient de changer le monde. Ceux qui tout au long de ce premier
siècle ont porté puis transmis le flambeau de ce syndicalisme de révoltes face
à l’injustice et à la tyrannie, d’insoumis face à l’ordre établi des possédants
et de la dictature du capital, de convaincus que la vie et le monde pensent
être libérés, beaux et fraternels.
A chaque étape, la lutte de
classe doit intégrer les données spécifiques à son temps. Les conditions dans
lesquelles elle se déroule évoluent, nos pratiques doivent s’y adapter, c’est
évident. Mais, cela ne change pas le fond. Comme à la fin du XIXe siècle, la
lutte de classe demeure une réalité aujourd’hui planétaire. A certains égards,
elle revêt des arêtes encore plus tranchantes dans une économie mondialisée, où
une spéculation financière démentielle joue l’argent roi contre les peuples,
notamment les plus pauvres.
— Le
syndicalisme CGT précisément est né anti-impérialiste et donc
internationaliste.
De toutes ses fibres. Au
plus profond de nous. Et sans faillir depuis. Contre l’abominable guerre de 14
et ses atrocités pour la redistribution des zones d’influence des grandes
puissances d’alors.
Pour le soutien au pouvoir
des Soviets, parce qu’ils symbolisaient le recul du capitalisme et la prise en
main de sa destinée par le prolétariat. Contre le fascisme nazi, mussolinien,
franquiste et l’aide aux républicains espagnols et à la classe ouvrière d’Espagne.
Le rôle de la CGT, de ses
militants, des travailleurs dans la Résistance et leur lourd tribut à la cause
de la liberté, de la Patrie et à la solidarité internationale. Contre toutes
les aventures et guerres coloniales, pour le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes.
L’internationalisme de la
CGT est peut-être un de ses plus beaux, plus purs apports.
Elle l’a fait souvent à
contre-courant d’opinions publiques galvanisées par le chauvinisme et l’esprit
de tutelle coloniale,
Elle a souvent payé cher
son idéal internationaliste et antiraciste, mais elle peut s’enorgueillir
d’être parmi ceux qui ont contribué à faire mûrir un des principaux phénomènes
de ce XX’ siècle la fin des empires coloniaux, l’accès aux indépendances
nationales, la reconnaissance d’un monde multiracial, multiculturel,
multiconfessionnel.
La CGT a joué un rôle
moteur pour la paix en Algérie, au Viêt-Nam. Elle a soutenu et soutient toutes
les causes qui, dans le monde, luttent contre l’oppression, pour les droits
sociaux, pour la liberté.
Ainsi sommes nous faits.
C’est notre deuxième nature. Parce que nous sommes convaincus qu’un aucun homme
sera vraiment libre tant qu’un seul sera opprimé.
A regarder la tournure des
événements dans le monde, l’internationalisme de la CGT est un engagement plus
que jamais nécessaire. Pour faire grandir les solidarités internationales
concrètes et quotidiennes. Pour construire un syndicalisme international
permettant de faire face aux enjeux de luttes de classe d’aujourd’hui.
— Le
syndicalisme CGT, c’est la passion de l’unité des travailleurs.
La CGT est née en 1895 de
cette volonté d’unité.
Elle s’est alors, même dans
d’âpres débats, donné les moyens de surmonter les obstacles de toutes sortes
professionnels, catégoriels, idéologiques, géographiques.
Elie est arrivée à
“confédérer”, c’est-à-dire à rassembler dans une maison commune l’ensemble des
organisations qui s’étaient peu à peu constituées pour défendre les salariés.
Face à un même adversaire
de classe, à un patronat qui se met toujours d’accord avec lui-même, face aux
pouvoirs publies, il faut être unis pour être plus forts. La division affaiblit
les travailleurs. Elle offre des marges de manœuvre au patronat et au
gouvernement. L’union est un des principaux moyens de force pour se défendre,
pour lutter, pour négocier, pour rendre plus difficile et inopérante la
répression.
Ces principes de base du
syndicalisme seront, tout au long du siècle de la CGT, souvent mis à mal.
La CGT ne se résignera
jamais à la division. Elle qui fut l’objet de plusieurs scissions, de refus
d’unité d’action de la part des
Démocratiquement, en
faisant des syndiqués et des travailleurs les acteurs de la construction de
l’unité, c’est-à-dire en informant, en disant les choses telles qu’elles
étaient, non par esprit de polémique et de critique mais pour le débat et pour
surmonter les obstacles à l’unité.
Le débat sur l’unité
n’appartient pas au passé. Il ne se limite pas, même si c’est très important, à
l’unité d’action pour les revendications immédiates, pour parer aux mauvais
coups.
Aujourd’hui comme au siècle
passé, le syndicalisme est placé face à son devenir. Le morcellement syndical
français est une source d’affaiblissement. La disparité de ses forces entre le
secteur privé et le secteur public le fragilise. Sa faiblesse dans les tranches
d’âge jeunes, les PME-PMI, les zones à large précarité, le met en porte-à-faux
par rapport aux structures du salariat. Et il lui faut tendre des passerelles organiques
vers le monde du non-travail imposé par cette société d’exclusion.
L’unité syndicale, les
solidarités “confédérales”, ce sont toutes ces dimensions convergentes, comme
elles le furent pour constituer dans les réalités d’alors la CONFEDERATION GENERALE
DU TRAVAIL en 1895. L’enjeu est vraisemblablement aussi décisif, pour l’avenir
de la société française, aujourd’hui qu’hier.
— Le
syndicalisme CGT, ce sont enfin des hommes et des femmes qui l’ont composé,
animé, fait vivre, aimé.
Loin de moi l’idée de
réclamer le monopole du dévouement et du militantisme pour les miens. Je serais
coupable de mettre en doute la sincérité, en leurs idées et en leurs propres
valeurs, des syndiqués et des militants des
Mais je ne pense pas être
de parti pris en considérant que le militant CGT a une personnalité bien typée.
D’ailleurs, dans toutes les études sur la Confédération, sur notre “image”,
comme on dit, reviennent les qualificatifs de dévouement, d’efficacité, de
combativité avec tout ce que cela signifie de disponibilité aux
J’avoue, au bout de 30 ans
de vie militante, me sentir toujours aussi “petite fille” et pleine
d’admiration pour tous ces pionniers et pionnières qui firent la CGT dans des
conditions de militantisme si difficiles, pour tous ces hommes et ces femmes
qui subirent la prison pour elle, qui moururent pour elle.
Je me suis souvent posée
une question qui ne peut avoir de réponse, je le sais. Nos générations
auraient-elles su, voulu, pu faire preuve de tant d’abnégation pour cet idéal
syndicaliste dans les noires années de l’Occupation, dans les vagues de
révocations des grèves de t919 ou de 1947 ?
Ce premier Centenaire,
c’est avant tout le leur.
Ils étaient tous et toutes
totalement sincères, ils croyaient tout simplement en un monde meilleur où le
travail de l’homme l’épanouirait et lui permettrait de satisfaire ses besoins
individuels et collectifs, partout et pour tous.
Les générations de
militants et militantes qui jalonnent ce premier siècle revendiquent la
fidélité à ces idéaux fondateurs de la CGT.
Je suis convaincue que
chacun, chacune, dans le cont
Qui propose mieux comme
valeurs solidaires entre tous les hommes ?
Thérèse HIRSZBERG.