Article paru en octobre 2003 dans la revue "Omnivore", 37 bis Rue Gauthey, 75017 PARIS.

“Construisez (...), un grand jardin, car aucune activité ne vous humanisera autant que la culture de vos propres aliments.”
Conseils à Bill Clinton et Al Gore.

Page 198 des “Aventures d’un gourmand vagabond” de Jim Harrison,
paru en 2002 chez Christian Bourgois.

Petits conseils de maraîchage entre amis.

Il existe une relation bien particulière entre le cuisinier et le maraîcher. Ce n’est par hasard si certain chef ont créé leur propre jardin ou même si certains maraîchers ont ouvert une auberge à la ferme. Produire les légumes qui vont s’exprimer dans l’assiette comme accueillir les produits du jardin pour réaliser un plat sont deux notions concomitantes, ou tout simplement en relation d’amitié. Comme le dit fort justement Jean françois Piège, chef de cuisine de l’hôtel Crillon, “ pour moi, le maraîcher est le garant du goût du légume mais aussi peut être le garant de la saison du légume”. Il avoue d’ailleurs avoir toujours eu envie de faire jardinier. “Gamin je faisais le jardin avec mon grand oncle, boulanger-patissier à Grenoble. Je trouvais passionnent cette relation au produit ou je pouvais dire c’est moi qu’il ai fait pousser et en plus je le mange”. Si le cuisinier connaît le travail de maraîcher, pas dans sa technique, mais bien plus, dans sa rythmique saisonnière, ne devient il pas plus pertinent dans son acte de cuisine. Connaître la pousse du légume humanise, et permet au cuisinier de comprendre son rôle de passeur. La cuisine, heureusement, n’est pas seulement un acte technique, mais bien plus une volonté de plaisir, de partage. Imaginer une école de cuisine ou la pratique du jardinage soit obligatoire, afin d’éprouver la diversité du paradis-arche de noé qu’est un jardin. Ceci permettrai de faire saisir aux élèves qu’une carotte est bien plus diverse dans ses variétés, dans sa pousse et dans ses goûts. Quand Michel Troisgros va tous les vendredi sur le marché de Roanne, pour rencontrer ses fournisseurs, en particulier Jean Pierre Burnaud et Bruno Schweilger, il crée une intimité autour du produit pour l’aborder sincèrement. Il se trouve ainsi confronté à l’évolution, de semaines en semaines, aux produits qui apparaissent, diffèrents suivant certes les saisons mais aussi les conditions climatiques. Du coup la volonté de mettre à sa carte tel ou tel légume s’objective face à la réalité de la pousse du légume. Et comme le dit Antoine Heerah du restaurant Le Chamaré à Paris “le maraîcher, le jardinier, celui qui cultive vraiment pour produire des herbes, des légumes est le lien réel entre la terre et la cuisine”.

Jacques Thorel, qui entretient un immense jardin et qui lui a presque permit une entière autonomie légumière cette année, se fait plus précis en insistant, “pour demander un produit à un jardinier il faut lui faire goûter”. En effet, le maraîcher à pour vocation de satisfaire la faim, et ce, par l’abondance avant tout. Il sera enclin à produire beaucoup et gros. Le chef de l’Auberge Bretonne à la Roche Bernard, explique, “ j’avais beau demander de petites courgettes, on m’en apportait toujours de trop grosses du jardin. Le jour ou j’ai fait goûter de petites pièces d’à peine douze centimètres de long, les jardiniers ont compris matériellement mon désir de goût”. En plus, plus vous ramassez souvent et petit sur un plant de courgette, plus vous ramassez abondamment. La plante se battant pour se reproduire, remettra incessamment en route son désir de graine pour survivre. Cet élément, partage de savoir, se retrouve bien dans le discours de Michel Dussaut du Pont Napoléon à Moissac. “Avoir un producteur par produit dans mon coin du Tarn et Garonne c’est un choix mais c’est aussi mon boulot. Mon boulot de les rencontrer et de leur permettre de vivre, car je ne cuisinerai pas aussi bien les produits si je ne connaissais pas le gas qui me les fait. Passer trois heures à discuter avec mes producteurs c’est mieux que de faire la route pour aller à Métro. C’est du luxe”. Le cuisinier demande, questionne, mais le jardinier, sait, lui, la terre. Et le désherbage à la main, la taille des pieds de tomates, il les vit, et tant de mal aux mains et d’angelures aux doigt, c’est bien par qu’il aime ses légumes.

Roger Maelstaf, jeune retraité maraîcher à Pouzols dans l’Hérault, laisse bien entrevoir cette narration subjective du travail. “La première fois que j’ai rencontré Michel Bras, il m’a demandé de raconter ce que je faisais. Je lui ai dit, non, je ne parle pas. Il faut goûter. C’était des tomates moya. Après nous avons parlé”. Et là, Roger devient intarissable, sur le bonheur gustatif apporté par sa tomate. “Je cultive plusieurs variétés de tomates : de la moya, de la Russe, de la cornue des Andes, de la Noire de Crimée, de la jaune. Je ne met pas d’engrais, même pas d’engrais bio. Pour avoir des tomates bonnes, riches en goût, il faut les forcer. C’est comme la vigne. Pas trop arroser, une fois tous les huit jours, ne mettre de l’eau que quand elles font la tête. Cette année j’ai rêvé un kilo de tomates par pied, j’en ai eu 400 g. Elles étaient délicieuses. Pour mes clients particuliers, qui viennent chez moi, j’ai été obligé de leur dire pas plus d’un kilo par personne”. Même avec trois à quatre mille pieds de tomates, Roger Maelstaf est un virtuose de la culture et on comprend que Bernard Pacaud, Pierre Gagnaire, Michel Bras et les frères Pourcel aient entretenu des rapports privilégiés avec cet homme rare.
Un détail à relever dans son discours, “même pas d’engrais bio”, permet de revenir et de repréciser : faire bio ne fait pas meilleur. Une culture sous label bio est faite pour ne pas empoisonner le sol avec des produits chimiques, en aucun cas, pour faire meilleur au palais. Si un producteur bio veut faire pisser la tomate à ses pieds, les couvrir d’engrais bio, les arroser au goutte à goutte et choisir des hybrides F1 long life, rien ne l’en empêche. Et je peux vous certifier que ce sera aussi bon que de la production industrielle.

Car le choix de la variété, à coté du procédé cultural est tout aussi important. Comme un catalogue de voyage, les catalogues de graines potagères ouvrent les portes de l’ailleurs. Noire de crimée, tomates sibériennes, carotte de Kuttingen, radis de Caluire, navet de Berlin, etc., sont le reflet des cultures qui les ont sélectionnées et cuisinées. Ainsi, Alain Passard dit avoir du essayer plus de huit variétés de carottes avant de trouver les bonnes à installer dans son jardin de la Sarthe. Il va même plus loin en avouant rechercher comme pour un cépage de vigne, l’entente optimale entre une variété potagère et son terroir. Une recherche, sans doute inachevée, pour trouver la bonne adéquation entre son désir de goût, les facilités de culture et d’adaptation au pays. “ Un accord parfais entre les jardiniers, leur légumes et la cuisine de l’Arpège”. Tester inlassablement, les graines commandées aux producteurs, les graines échangées entre passionnés, les graines rapportées de voyage, et attendre que sa pousse, attendre parfois un an, deux ans pour faire le bon choix. Une histoire de temps, car comme le rappel Jean François Piège “le premier patron du jardinier c’est le soleil, il faut être patient”. Jean Pierre Burnaud, ancien éleveur de charolais qui a épousé le maraîchage contre l’avis des techniciens agricoles, raconte les graines japonaises de Michel Troisgros : “ Ça marche, ça marche pas, ou ça ne présente pas forcément d’interets, alors on arrête ou on recommence”. Un paysage potager se compose et se recompose doucement à force d’essai et de tentative.

Ainsi avec l’aide des maraîchers, les cuisiniers deviennent prescripteurs. En prospectant les catalogues de graines potagères, en faisant cultiver et en cuisinant l’immense monde légumiers, forcément, un jour, ces légumes basculent sur le marché. Il y a vingt ans les panais, le persil racine, les choux-raves avaient été terrassés par l’oubli. De jardin en cuisine, aujourd’hui ces racines d’hiver sont de nouveau présentes. Plus récemment, sur le marché de Roanne, il est possible de trouver de divines petites aubergines d’origine japonaises passées du sac de voyage de Michel Troigros, aux champs et aux cagettes de son maraîcher. Jean Michel Lorrain le raconte lui aussi :”Les chefs sont pourvoyeur de nouveaux légumes. J’ai rapporté il y a quelques années de Thaïlande, des graines de petits potirons, les little boy. Aujourd’hui sur le marché de Joigny, les little boy se vendent à l’automne”.

Mais surtout pour le chef de la Côte Saint Jacques la prospection est permanente. “Cette année nous avons découvert un nouveau jardinier à 60 km de chez nous, à Gien. Un gas passionnant qui nous a fait goûter l’agastache, une aromatique et des salades très très intéressantes. Comme il est loin, deux fois par semaine, un gas de la brigade et lui, font trente kilomètres chacun, pour les livraisons. Il y a toujours des solutions pour avoir le meilleur”.

Toujours des solutions, même pour les jeunes cuisiniers qui désespèrent parfois de trouver le jardinier rêver. Il faut chercher, prendre le temps des rencontres, et vous en trouverez forcement un, quelque part qui vous dira comme le dit Roger Maelstaf : “c’est pas le jardinier qui dirige le jardin, c’est le jardin qui dirige le jardinier”.

Je vous confie une liste de six catalogues de graines potagères. À éplucher doucement, de variétés en variétés. Comme si le catalogue de la Manu ne proposait que des légumes et des herbes aromatiques. 
  Graines Baumaux, BP 100, 54062, Nancy cedex. http://www.baumaux.com  
Ferme Sainte Marthe
, BP 10, 41700, Cour-Cherverny. Fax 02 54 44 21 70. www.fermedesaintemarthe.com
G.I.E. Le Biau Germe,
47360 Montpezat, nombreuses variétés non inscrites au catalogue officiel, quantité maraîchère. E.U.R.L. 
Germinance, 49150 Saint Martin d’Arcé, semences potagères de culture bio-dynamique pour jardiniers et maraîchers. 
Semailles, 20 rue du sabotier, 5340 Faulx les Tombes, Belgique, catalogue (en français) de semences de producteurs belges, luxembourgeois, hollandais, allemand et français. 
 Sativa Rheinau GmbH, Klosterplatz, CH-8462, Rheinau, Catalogue suisse (en allemand) de graines potagères. Nombreuses variétés rares sous le titre pro specie rara.