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Banc d’essai : Reaktor 5.0/5.1

Il y a près de sept ans, Native Instruments associait son synthétiseur Generator et son lecteur d’échantillons Transformator pour créer Reaktor. N’ayant cessé de progresser depuis, ce dernier est devenu un véritable « monstre de son » et est passé il y a quelques mois à la version 5 et plus récemment encore à la version 5.1. Voilà donc l’occasion de faire le point sur le vaisseau amiral de NI.

Installation

Pas de problème si ce n’est qu’un espace disque vaste est demandé (plus de 880 Mo, presque un Go !). Et encore, sans la Legacy Library (voir plus loin), qui occupe quelques 397 Mo supplémentaires. Vous pouvez conserver la version 4 sur votre disque dur. Le logiciel fonctionne en mode autonome ou comme insérable VST, Audio Unit ou RTAS (sur Macintosh du moins).

Interface

Celle-ci a été modifiée, dans le sens d’une plus grande ergonomie. Prenons par exemple la fenêtre Toolbox : elle est nettement moins large qu’auparavant et il ne faudra donc plus la déplacer en permanence pour laisser les autres fenêtres apparaître. A vrai dire, une partie de ses éléments ont été déplacés dans la fenêtre de l’ensemble, notamment les commandes d’accès au tableau de commandes ou à la structure interne de l’ensemble en cours d’utilisation/création, de même que les commandes du séquenceur. Afin de libérer de la place sur le bureau, une seule fenêtre est destinée à faire apparaître tour à tour les différents niveaux de la structure. Cela évite d’avoir à jongler avec de multiples fenêtres, l’affichage dans des fenêtres distinctes restant possible pourvu que l’on utilise une touche de fonction particulière lorsqu’on veut accéder à un autre niveau. L’icône d’assignation automatique des messages MIDI (MIDI learn) a elle aussi été déplacée vers la fenêtre du tableau de commande.

D’autre part, chaque ensemble et instrument dispose sur sa barre supérieure de menus déroulant pour choisir quelles entrées/sorties MIDI et audio y sont raccordées, et il en va de même pour les canaux MIDI. Donc, plus besoin de déplacer graphiquement les câbles pour modifier les connexions audio, ce qui fait gagner un temps précieux, notamment pour les utilisations en concert.

Formes et couleurs

Pour les utilisateurs qui s’attachent à l’aspect visuel de leurs synthétiseurs, une interface graphique personnalisée Salade de fruits, joli, joli.constitue un plus et par ailleurs elle contribue parfois à une meilleure ergonomie. Cette version 5 innove à ce propos, autorisant l’utilisation de « skins » personnalisés afin de modifier plus librement l’apparence des atténuateurs, potentiomètres, boutons, voyants, etc. Dans la plupart des cas, cela demande un travail considérable. Par exemple, un potentiomètre exige une image pour chaque position. Si ce type de travail vous rebute, vous avez aussi la possibilité de récupérer pour un instrument les images intégrées dans un autre instrument, pourvu qu’il soit également chargé dans l’ensemble en cours d’utilisation. Vous pouvez l’éliminer ensuite. Il est par contre impossible de récupérer un skin pour le modifier dans un logiciel graphique avant de le réutiliser ailleurs. Un truc pour contourner cette limitation consiste à ouvrir la fenêtre affichant les différents éléments du skin puis à effectuer une capture d’écran.

Toujours dans le domaine des apparences, il est également possible d’ajouter des marges afin d’aérer la présentation des tableaux de commande et des macros.

Nouveaux modules

Cette version offre peu de nouveau modules, mais ils seront néanmoins très appréciés.  Par exemple, Numeric readout permet l’affichage d’une valeur chiffrée sans devoir passer par la création d’un « meter » dont on n’affichait que le champ « value ». Plus substantiel, le couple Panel index/Stacked macro. En effet, il autorise à constituer un choix de macros puis à déterminer dynamiquement laquelle s’affichera dans un espace donné du tableau de commande. Ce système fait gagner un espace considérable, notamment aux utilisateurs d’un écran de petite taille. Pour ceux qui connaissent le logiciel Max/MSP, c’est un peu l’équivalent d’un bpatcher. Ce système est notamment utilisé sur le synthétiseur Carbon 2.

Un module qui manque à mon sens est celui qui permettrait d’insérer des commentaires rapidement dans une structure, car on peut vite s’y perdre, même si on en est l’auteur, notamment si on rouvre un ensemble sans y avoir touché pendant plusieurs semaines !

La technologie Core Cell

Lorsqu’on appelle le menu contextuel pour placer un module ou une macro, on découvre une nouvelle catégorie : Core Cell. Il s’agit de modules (et des macros conséquentes) un peu particuliers qui font appel à la technologie du même nom. Le principe consiste à laisser l’utilisateur accéder lui-même à la création de modules et donc à lui donner encore plus de souplesse dans la création de dispositifs. Pour apercevoir la structure interne d’un module élaboré avec Core Cell, il suffit de cliquer dessus à l’instar de ce qu’on fait avec une instrument : on découvre alors des Core Macros, en plus loin encore des Core Modules. Cependant on arrive ici dans un univers qui a des règles propres et dont la manipulation n’est certainement pas à la portée du premier venu. De plus je vous vois venir avec vos gros sabots : pourquoi refaire ce qui semble exister déjà sous la forme des macros ? La réponse est que s’il y a un point commun qui est l’encapsulation (c’est-à-dire l’idée des poupées russes d’emboîter différents niveaux les uns dans les autres), il y a une différence et de taille : avec Core Cell, outre la souplesse offerte, on économise –en théorie- de la puissance de calcul. Or on sait que Reaktor est dans ce domaine un ogre et toute économie est la bienvenue. J’en profite pour saluer tous les lecteurs qui n’ont pas les moyens de remplacer leur vieil ordinateur une fois tous les trois ans et qui bavent déjà devant les nouveaux MacBooks. Pourtant, dans les faits, il semble que ce soit plutôt le contraire qui se produise, on constate effectivement que certaines structures créées en Core Cell sont plus gourmandes que leurs équivalents assemblés avec des modules classiques. Bref, Core Cell est pour l’instant tout en potentiel et il faudra sans doute attendre un peu avant qu’il n’en émerge des réalisations à la fois originales et plus efficaces.

Les entrailles de Core CellD’autre part, si l’idée est séduisante, les compétences demandées pour l’utilisation de cette technologie seront-elles encore accessibles au commun des musiciens ou bien seulement aux drogués de programmation et autres ingénieurs informaticiens ? La réponse est sans doute non, mais d’une part les modules Core Cell crées par x sont utilisables par y sans que ce dernier doive en comprendre le fonctionnement interne et d’autre part cette technique devrait tout de même faire progresser le logiciel. En outre, la technologie Core Cell est bien documentée via un livret spécifique, au contraire d’autres aspects de Reaktor. Point importent : l’utilisateur a toute liberté d’associer des modules Core Cell avec des modules classiques, de même que de créer des macros pures ou associant les deux familles de modules.

Si le choix de modules Core Cell n’est pas très vaste pour l’instant, il comporte tout de même quelques unités très intéressantes. Ainsi on trouve par exemple dans la bibliothèque utilisateur un oscillateur offrant d’emblée un choix entre quatre formes d’onde avec modulations de hauteur, de phase et entrée/sortie de synchronisation. Un petit tour dans la bibliothèque des utilisateurs Reaktor du site Native Instruments pour chercher des modules Core Cell et on s’étonne de ne pas y découvrir un plus grand choix. La montagne aurait-elle accouché d’une souris ? A vrai dire, si l’utilisation de Core Cell semble assez confidentielle, elle est notamment à l’œuvre dans le synthétiseur Carbon 2, pour lequel des éléments spécifiques ont été développés. Mais c’est justement là que la mise à jour 5.1 apporte quelques éléments. On trouve en effet parmi les ensembles propres à cette version une nouvelle série d’effets dédiée à la lecture non linéaire d’échantillons (synthèse granulaire, lecture fragmentée suivant un tempo, etc), chaque effet étant basé sur un module Core Cell spécifique. Voir à ce sujet le dossier Glex-Granular dans la catégorie « Sample Transformer ».

Personne n’est parfait

Reste qu’un certain nombre de dispositifs qui semblent aller de soi restent encore difficiles à créer. Par exemple il n’y a toujours pas d’objets dédiés directement à des opérations de transformation via analyse/resynthèse spectrale par FFT/IFFT. Pour être exact, un utilisateur a lui-même développé des instruments s’inscrivant dans cette démarche, mais ils ne sont pas tout à fait au point et difficilement modifiables sinon par des utilisateurs de niveau très avancé (effectuer sur une recherche sur le nom Gabriel Mulzer dans la Reaktor User Library du site Native Instruments pour les trouver).

Une autre élaboration qui s’avère difficile est celle d’un générateur d’enveloppes qu’il soit possible de mettre en boucle. Cela n’a l’air de rien, mais pour élaborer une macro qui aboutisse à ce résultat, il faut rentrer dans une cuisine assez complexe ! J’ai finalement adapté un instrument trouvé dans la User Library faute d’avoir pu réaliser moi-même ce qui semblait évident.

Finalement, c’est là que se situe une des faiblesses de Reaktor : il ne comporte pas de tutoriel à la mesure de ses possibilités. Il a certes existé un livre sur le sujet écrit par le bien connu Sen Lasso (NI Reaktor 3, édité par Wizoo et distribué par NI) mais il avait une portée limitée, était destiné à la version 3 et en outre n’est plus disponible aujourd’hui.

Consommation de la puissance du CPU

Si on ouvre dans Reaktor 5 un ensemble créé dans la version 4, celui-ci ne consomme pas plus de puissance de calcul qu’auparavant. Cependant, quelques ensembles de la Library ont été mis à jour et dès lors s’avèrent nettement plus gourmands. Exemple : Carbon, en version ancienne, consomme un peu plus de 25% de la puissance disponible pour une polyphonie de six voix (processeurs PowerPC G4/867 MHz), contre plus de 70% pour Carbon  2 ! Quant à FM4, avant même d’avoir produit un seul son, il mange déjà près des trois quarts de la puissance disponible sur ma machine. Et il m’a tout simplement été impossible de faire fonctionner la version « Dual » de cet instrument ! Il est vrai que mon processeur n’est qu’un pauvre G4 cadencé à 867 MHz montrant son âge. Si votre machine est plus puissante, vous ne devriez pas avoir trop de mal, dans le cas contraire, vous ne pourrez pas profiter au maximum du logiciel et il faudra bientôt songer à la mettre à jour ou à la remplacer !

Petit papa Noël, apportez-moi des synthétiseurs par milliers

On appréciera de pouvoir disposer sous le nom de « Legacy Library » non seulement de la bibliothèque de Reaktor 4, mais aussi de celle de Reaktor 3, sans compter tous les ensembles accessibles depuis le site Native Instruments ou d’autres. Avec toutes les hybridations ou  les infinies variations possibles dans la mise en œuvre, on se retrouve donc avec une somme de synthétiseurs, séquenceurs et effets gigantesque.Space Drone

Reaktor 5 est pourtant fourni avec de nouveaux ensembles qui repoussent une fois encore les limites du logiciel. Parmi ceux-ci, quelques-uns méritent le détour pour ne pas dire mieux : Carbon 2, qui tout en étant basé sur une structure soustractive classique offre un ensemble de sons très vaste et original. Rien que pour comprendre complètement son fonctionnement pour exploiter complètement tout son potentiel, quelques heures vous seront nécessaires ! Quant à Equinoxe Deluxe, si son nom vous rappelle un disque d’un certain Jean-Michel, ce n’est pas par hasard car les premiers presets de l’instrument délivrent des sonorités très semblables à quelques nappes entendues sur son album du même nom sorti dans les années 1970. De son côté, Oki Computer 2 intéressera les amateurs de techniques plus numériques, comprenez « tables d’onde ». D’autres générateurs de sons offrent des configurations plus inattendues. Par exemple, Space Drone est un générateur qui fonctionne sur base d’un banc de 96 filtres passe-bande excités par un bruit blanc. Quant à Skrewell, l’exploration de ses patches révèle des matières complexes et torturées qui raviront les amateurs de sonorités excentriques. Dans la même veine, la mise à jour 5.1 du programme contient Gaugear. Du côté des groovebox, Massive offre des possibilités très intéressantes. Et bien sûr il y a des ensembles destinés à la manipulation d’échantillons ou à servir de processeurs d’effets.

Snapper, le séquenceur.La version 5.1 apporte un plus significatif vis-à-vis de la version 5.0. En effet, via certains ensembles, notamment la version 1.1 de la groovebox Massive, on y découvre le séquenceur à motifs (patterns) Snapper. Celui-ci est destiné à piloter tout séquenceur ou boîte à rythmes en lui fournissant le tempo et en déterminant l’organisation des motifs dans le temps (via les snapshots de l’instrument piloté). Voilà qui constitue donc un véritable outil de composition et facilite l’usage de Reaktor hors de tout séquenceur façon Cubase, Pro Tools, Logic, Live, etc. Et comme il s’agit d’un instrument séparé, vous pouvez le recycler directement dans d’autres ensembles bien évidemment !

Par ailleurs, les macros livrées facilitent et accélèrent la création de nouveaux ensembles personnels par les débutants. En outre, quelques ensembles sont destinés à apprendre quelques techniques de base : synthèse soustractive, FM avec réinjection, etc. La mise à jour 5.1 ajoute à cela un tutoriel spécifique aux « Stacked Macros ».

Le plus difficile reste peut-être de franchir le pas entre un niveau de base facilement accessible et le niveau requis pour créer des instruments d’un niveau semblable à celui des ensembles accompagnant le logiciel. La source d’aide la plus appropriée est le forum de discussion Reaktor, vous y trouverez pas mal de réponses aux questions qui ne manqueront pas de se poser à vous dès que vous lancerez dans l’élaboration d’un synthétiseur ou d’un effet avancé.

Compatibilité

Les ensembles de Reaktor 4 ouverts avec Reaktor 5 ont fonctionné sans problème. Notez que Reaktor 5 utilise un nouveau principe d’initialisation en ce qui concerne les événements, ce qui peut pourrait théoriquement poser problème pour les anciens ensembles, mais l’activation de l’option « Reaktor 4 Legacy Mode » individuellement sur chaque ensemble devrait dans ce cas tout faire rentrer dans l’ordre.

Par contre, tout ensemble créé ou modifié par Reaktor 5 ne peut plus être ouvert par une version antérieure, même si aucun module ou fonction spécifique à la version 5 n’a été utilisé. Cette incompatibilité ne posera pas de problème pour la plupart des utilisateurs, mais elle deviendra très gênante dans un contexte éducatif si l’enseignant dispose d’une version plus avancé que celle de ses étudiants ! Voilà une restriction dont on se passerait volontiers.

Ne cherchez plus MIDI à quatorze heures

A côté du MIDI, Reaktor propose déjà depuis la version 3 le pilotage via le protocole de communication OSC, lequel utilise le réseau IP (Ethernet/Internet) et est implémenté dans un nombre grandissant de logiciels et d’interfaces (Max, Super Collider, Lemur, etc). Il est également utilisable entre deux logiciels fonctionnant sur un même ordinateur. Ainsi, nous avons testé le pilotage de Reaktor par Max/MSP (et l’inverse) et cela a fonctionné avec une vitesse redoutable, beaucoup mieux qu’avec l’épouvantable bus IAC de MacOS X, tout en offrant une souplesse et une résolution nettement supérieures au MIDI. Cela devrait fonctionner tout aussi facilement dans Windows, où cela est d’autant utile que XP n’intègre aucun système de communication MIDI entre applications. Malheureusement, il nous a fallu tâtonner quelque peu avant de parvenir à nos fins, une fois encore parce que des informations qui auraient pu figurer dans le mode d’emploi n’y étaient pas. Pourtant, une fois quelques principes compris, c’est devenu un jeu d’enfant.

Et le son dans tout cela ?

Le suréchantillonnage est notre ami!Ah j’allais l’oublier celui-là ! Je voudrais seulement rappeler à ce sujet que Reaktor peut fonctionner à une fréquence d’échantillonnage supérieure à celle de la carte son, ce qui reste à ce jour quasi-inédit (Max/MSP le permet également mais sans offrir un filtrage anti-repliement aussi facileà mettre en œuvre). Ainsi, avec une carte à 44,1 kHz, on peut monter jusqu’à 176,4 kHz. Le processeur est mis à rude épreuve mais le repliement numérique n’est alors plus qu’un mauvais souvenir, et on a des aigus excellents. Qu’on ne vienne plus me dire que le son numérique est froid, pauvre ou agressif, je vous laisse d’ailleurs bien volontiers vos analogiques AKS et autres Moog !

Conclusion

Reaktor donne accès à un univers sonore vaste et à un son de qualité, via des instruments utilisables directement mais est aussi propice aux expérimentations les plus débridées. Sa large bibliothèque évite à l’utilisateur débutant de devoir en saisir toutes les arcanes, mais c’est justement en allant plus loin que le logiciel montre toutes ses richesses et sa souplesse. Dommage que la documentation ne soit pas à la hauteur de ce potentiel.

Roald Baudoux - janvier 2006


 Pour :

  • donne accès à la plupart des techniques de synthèse (soustractive, additive, granulaire, par tables d’ondes, modélisation physique entre autres)
  • pilotage facile par MIDI ou (un peu moins facile) par OSC ;
  • librairie de synthétiseurs vaste et versatile ;
  • facilité de création à partir de macros ;
  • mémorisation et rappel faciles des patches via les instantanés (snapshots) ;
  • possibilité de faire fonctionner le logiciel à une fréquence d’échantillonnage supérieure à celle de la carte son (bye-bye le repliement numérique) ;

 Contre :

  • grosse machine requise pour en obtenir toute la quintessence ;
  • mode d’emploi incomplet ;
  • peu de nouveautés incontournables par rapport à la version 4, la technologie Core Cell n’ayant pas (encore) rempli ses promesses ;

Machine recommandée :

Reaktor 5 sur le site de Native Instruments

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