La clinique des bébés sur mesure

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Californie, envoyé spécial

Encino, une banlieue aisée de Los Angeles. Le Fertility Institute est installé dans un petit immeuble moderne sur l'avenue principale de la ville. A l'intérieur, tout est neuf, confortable et multicolore : les salles de soin, le bloc opératoire et surtout le laboratoire de diagnostic génétique, doté d'équipements ultrasophistiqués. A première vue, il s'agit d'une clinique privée de fécondation in vitro (FIV) comme il en existe dans toutes les grandes villes des Etats-Unis.

En réalité, sous l'impulsion de son patron, le docteur Jeffrey Steinberg, le Fertility Institute est devenu un lieu bien particulier : sur les 800 femmes ayant subi ici une FIV l'an dernier, 700 étaient en parfaite santé et auraient pu avoir un enfant de façon naturelle. Elles ont décidé de subir cette intervention coûteuse, contraignante et peut-être risquée dans un seul but : choisir le sexe de leur bébé.

En France, le diagnostic préimplantatoire (DPI) est autorisé depuis 1994 pour les familles touchées par "une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable" (mucoviscidose, chorée de Huntington, hémophilie…). 200 à 300 familles en bénéficient chaque année dans les trois centres français agréés (Paris, Strasbourg, Montpellier). Les lois françaises de bioéthique doivent être révisées avant fin 2010. Dans ce cadre, le Comité consultatif national d'éthique a estimé que les textes actuels en la matière fournissaient "un cadre juridique globalement satisfaisant", et propose que le DPI s'applique aussi à la trisomie 21.

L'Autriche, l'Allemagne, l'Italie et la Suisse interdisent le DPI, mais la plupart des pays occidentaux l'autorisent.

Israël est, avec les Etats-Unis, le seul pays occidental autorisant le choix du sexe de l'enfant par DPI – à condition que le couple ait déjà donné naissance à quatre enfants du même sexe.

Aux Etats-Unis, contrairement à la plupart des pays du monde, le diagnostic génétique des embryons réalisé à l'occasion d'une FIV est légal quelles que soient les motivations des futurs parents. Trois jours après la fécondation de l'ovule, on prélève une cellule de l'embryon pour examiner son code génétique.

Comme beaucoup de ses collègues américains, le docteur Steinberg effectue systématiquement un diagnostic sur les embryons avant de les implanter, afin d'éliminer ceux qui sont porteurs d'une maladie génétique identifiable. Puis le laboratoire procède à un second type de test : le tri entre les embryons masculins et féminins.

UN RÊVE INTEMPOREL

Le docteur Steinberg se veut modeste : "Dans le monde entier, de nombreux généticiens sauraient faire ça très bien. La différence, c'est que j'habite dans un pays où c'est légal et que je le fais à grande échelle. Du coup, mon labo a acquis une expertise particulière. Nos diagnostics sont exacts à 99,9 %."

En Californie, région de pointe dans le secteur des biotechnologies, la sélection du sexe des embryons n'est pas un sujet très polémique. En fait, le docteur Steinberg a plutôt le sentiment de répondre à une demande universelle – et intemporelle : "Le rêve de choisir le sexe des enfants habite l'humanité depuis le fond des âges. Des fresques peintes par les hommes des cavernes suggèrent qu'ils se livraient à des cérémonies magiques pour avoir des enfants mâles ou femelles. Un traité de médecine, écrit au Moyen Age par un Français, recommandait aux hommes de se nouer une ficelle autour d'un testicule s'ils voulaient avoir un garçon. Mon système est meilleur…"

Si, par exemple, la patiente veut une fille, seuls les embryons féminins lui seront implantés. L'ensemble de l'intervention – extraction des ovocytes, fécondation, diagnostic et implantation – coûte 18 400 dollars. Quand on y ajoute les auscultations, les analyses, le suivi et le traitement hormonal, le prix total dépasse les 25 000 dollars. Si aucun embryon du sexe désiré n'est viable, il faudra tout recommencer. Si en revanche le labo a réussi à féconder un surplus d'embryons du sexe désiré, ils seront congelés : au cas où la première grossesse échoue, il suffira de répéter la dernière phase du processus, pour un surcoût de 3 000 dollars.

Selon le docteur Steinberg, le taux de grossesses réussies est de 70 % à la première tentative, et de 90 % au bout de deux essais : "C'est supérieur à la moyenne des autres cliniques de FIV, mais ce n'est pas parce que nous sommes meilleurs. C'est simplement parce que nos patientes ne souffrent pas de stérilité." Près de la moitié des clientes du Fertility Institute vivent en Amérique du Nord : "Aux Etats-Unis, 55 % des familles veulent des garçons mais au Canada, 65 % veulent des filles. Le plus souvent, il s'agit de couples qui ont déjà plusieurs enfants du même sexe et souhaitent rééquilibrer leur famille."

AVOIR UN FILS

C'est le cas de Kumar et Kamal A., qui ont deux filles de 9 et 7 ans. Kamal est à nouveau enceinte et cette fois, grâce au docteur Steinberg, ce sera un garçon. La famille A. habite un petit pavillon un peu négligé à Perris, une ville-dortoir à deux heures de Los Angeles, aux portes du désert. Les deux époux travaillent juste à côté, dans l'entrepôt d'une chaîne de grands magasins. Ils se voient peu, car Kumar fait partie de l'équipe du matin tandis que Kamal travaille l'après-midi et le soir : "Nous sommes ensemble le week-end, explique Kamal. Notre vie est correcte, sans plus : une vie d'ouvriers."

Originaires d'Inde, Kumar et Kamal sont de confession sikh et sont arrivés aux Etats-Unis il y a une douzaine d'années. Kumar aime ses filles mais veut absolument un fils. Kamal est d'accord, sa famille ne sera pas complète tant qu'elle n'aura pas de garçon. Mais elle est âgée de 38 ans et sa santé est fragile : "J'ai eu mes deux filles par césarienne. Les médecins m'ont dit qu'une troisième grossesse serait possible mais qu'après, ce serait trop risqué. Si je m'impose à nouveau cette épreuve douloureuse, c'est uniquement pour avoir un fils."

Kumar et Kamal découvrent le Fertility Institute grâce à une publicité dans un magazine destiné à la communauté indienne des Etats-Unis. Ils sont très intéressés mais hésitent : pour une famille d'ouvriers, c'est cher. En plus, ils ne sont pas très calés en génétique et ne savent pas si cette technique est fiable. Finalement, ils se lancent dans l'aventure. Pour cela, ils doivent emprunter la somme sur leurs cartes de crédit, à un taux élevé. Autre mauvaise nouvelle : Kamal découvre que pour augmenter sa fertilité, elle devra se faire une piqûre tous les jours pendant au moins quatre mois.

Cela dit, à présent que le traitement est terminé, elle se sent heureuse : "Je suis enceinte de trois mois. L'échographie n'est pas encore claire mais j'ai confiance dans le docteur Steinberg." Pour la fin de sa grossesse, elle sera suivie par un médecin local, qui est au courant de tout et approuve. Elle a aussi expliqué la sélection d'embryon à ses filles et même à ses parents, qui vivent en Inde : "Ils ont compris qu'ils allaient avoir un petit-fils, ils sont heureux." En revanche, elle n'en a parlé ni à ses amis ni à ses collègues : "Pour le voisinage, je suis enceinte, c'est tout."

Yves Eudes
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Vos réactions
Talion
  Les progrès des sciences et techniques doivent-ils tous forcément déboucher sur des applications concrètes? Aujourd’hui on peut choisir le sexe, demain, la couleur des yeux, après-demain un ensemble de caractéristiques simples etc. Si on n’impose pas une limite forcément arbitraire, alors il n’y aura aucune limite à la satisfaction de nos puérilités.. Est-ce vraiment ce que l’on souhaite?  

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